L'utilisation du nombre d'or chez Enguerrand Quarton
Composition et section dorée au Moyen Age

Etude de François Murez

E. Quarton, une des grandes figures de la peinture française du XVe siècle.


Originaire du diocèse de Laon en Picardie, Enguerrand Quarton ne nous est connu que par son activité en Provence, attestée de 1444 à 1466. La définition de sa personnalité artistique s’est opérée à partir de deux tableaux admirables, la Vierge de Miséricorde (Chantilly, musée Condé) et le Couronnement de la Vierge (Villeneuve-lès-Avignon, musée) dont la paternité est prouvée par deux contrats de commande, passés respectivement en 1452 et en 1453 entre le peintre et son commanditaire. Par comparaison avec ceux-ci, lui ont été attribués d’autres panneaux peints et enluminures. L’ordonnance monumentale de ses compositions, l’élégance de ses rythmes linéaires, si frappants dans la Pietà, lui viennent peut-être de sa formation dans le Nord de la France, au contact des cathédrales gothiques et des ateliers d’enlumineurs. Sans doute a-t-il vu non loin de là des témoignages du nouvel art flamand, incarné par les frères van Eyck et à son arrivée en Provence des exemples de peinture siennoise du siècle passé comme des tableaux italiens plus « modernes ». De ces diverses influences est né un style résolument personnel, mariant un sens aigu du réel et une volonté décorative.

(Tiré du site du Louvre)




Enguerrand Quarton - La Piéta de Villeneuve lès Avignon - vers 1455

Cinq personnages participent à cette représentation douloureuse, toute empreinte de spriritualité. Quatre sont acteurs du drame ; les principaux : Jésus et sa Mère ; Jean l'évangéliste et Marie-Madeleine entourent les deux premiers et partagent la souffrance de la Vierge. Un est spectateur : le chanoine donateur est perdu dans sa pensée intérieure.
La symétrie apparente des quatre personnages centraux, axée sur la Piéta, appartient à une composition plus complexe basée sur des figures géométriques chères au Moyen Age.



La ligne d'horizon correspond à la section d'or de la hauteur du tableau.



La moitié du tableau donne l'axe de symétrie vertical.



La croisée des deux axes est le centre d'un cercle ayant pour diamètre la hauteur de l'horizon, soit la section d'or du tableau. Les deux pentagones inscrits dans le cercle positionnent les visages des deux saints, seconds personnages et les corps de la Vierge et de Jésus, premiers personnages. La Vierge suit la verticale qui indique l'absolu, Jésus l'horizontale qui indique la vie et son aboutissement, la mort.



Par un jeu de diagonales issues des sommets ou intersections des pentagones, les directions des jambes, du bras et du dos de Jésus ou de la coiffe de la Vierge sont données. Ces diagonales du dos, des jambes et du bras donnent la cassure, le drame alors que le cercle donne la régularité, la sérénité.



Un deuxième cercle plus grand avec ses pentagones, ayant pour diamètre la largeur du tableau et calé sur le haut du précédent, donne l'inclinaison de Marie-Madeleine et la courbure de son dos, l'inclinaison de Jean et le mouvement de l'habit du chanoine.



Comme tout à l'heure, une verticale issue des pentagones donne le positionnement du chanoine.



Un dernier cercle ayant pour diamètre la hauteur du tableau et centré comme le premier donne le mouvement du bas du vêtement de la Vierge.






Enguerrand Quarton - Vierge de la Miséricorde - Retable Cadard - vers 1452

Les deux saints patrons, Jean le Baptiste et Jean l'Evangéliste, entourent la Vierge de Miséricorde. Jean Cadard et sa femme Jeanne de Moulins sont à genoux ; le monde laïc et clérical sous le manteau protecteur de la Vierge.
Ce tableau en forme de rétable a perdu sa prédelle.



La structure du tableau est établie sur le rabattement de la diagonale du carré puis de celles des rectangles obtenus.



Les côtés des rectangles, les arcs de cercles dans leur progression déterminent la position des personnages, des objets. Ici, sur cette représentation à droite, mais la même progression sur la gauche produirait aussi le même positionnement symétrique.
La Vierge est bien sûr sur l'axe central du tableau.



Un cercle et ses pentagones d'un diamètre égal à la hauteur du tableau cadence la mise en situation de la Vierge et de ses protégés.



Une diagonale tirée des angles des rectangles indique le mouvement du bras de Jean l'évangéliste et du dos de Jeanne de Moulins. En symétrie, une même ligne donnera la même indication sur la gauche.



Un autre cercle et ses pentagones, l'axe horizontal du cercle calé sur le bas du tableau et de diamètre en rapport du nombre d'or avec le diamètre du cercle précédent, placent le haut du manteau de la Vierge, supportent ses bras, entourent les donateurs et les intégrent dans le geste d'amour de la Vierge.



Des droites tracées à partir des pointes des pentagones donnent : en exemple vertical, le petit meuble qui porte le livre de prières à droite, en exemple horizontal, le fond de la pièce...



Et pour finir, si on prend la même proportion que dans d'autres tableaux (Le Couronnement de la Vierge), en supposant que l'axe horizontal du petit cercle donne le rapport d'or de l'ensemble tableau et prédelle disparue, on peut déterminer la hauteur de cette prédelle.



Peut-être que le rétable complet avait cette proportion là ???




Le nombre d'or au Moyen Age (Charles Bouleau)


L'idée que le pentagone, symbole de la quintessence platonicienne, est une figure parfaite et la proportion d'or une proportion divine a hanté certainement les artistes du Moyen Age; la meilleure preuve en est l'emploi fait de ces constructions dans les plus grands chefs-d'oeuvre du temps. Il ne s'agit pas ici de la seule architecture. Il est très certain qu'à toutes les époques, les architectes ont fait appel (parallèlement à d'autres proportions géométriques) à cette progression continue, particulièrement harmonieuse, en usant de la section d'or, ou des rectangles dynamiques, plus rarement du pentagone. Nous ne nous occuperons ici que de la peinture et nous chercherons nos exemples chez les plus grands peintres du Moyen Age, les maîtres du XVe siècle. Leur attitude n'est pas celle des architectes; ils ne s'étendent pas dans l'espace, ils sont limités par le cadre, dont l'emprise, nous le savons, est toute puissante; la progression continue les intéresse donc moins que les raffinements infinis du pentagone et de ses recoupements. La progression pourtant aura sa place dans l'ensemble complexe des surfaces - presqu'un plan d'architecte - que constitue un polyptyque....


Bibliographie :
Charles Bouleau, Charpentes - La géométrie secrète des peintres. Aux éditions du Seuil